🇫🇷 LE VISAGE DE LA VILLE

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Paul in La Ville Morte Opéra National de Lorraine à Nancy

Deux performances vocales, pour ne pas dire des tours de force, voilà ce qu’exige Korngold des interprètes de la Ville morte, et le premier défi que relève l’Opéra national de Lorraine, au-delà des espérances. Hors d’un Heldentenor, point de salut pour Paul, à moins d’y sacrifier un artiste trop docile dans son inconscience. Incontestablement, Michael Hendrick en a la carrure, cubique, ainsi que le timbre, d’un sombre éclat.

Dès le premier monologue, il donne tout, c’est-à-dire trop, trop tôt, pour tenir la tessiture sur la distance, et surtout par-dessus l’orchestre, magmatique. L’aigu se serre alors, et vacille, mais l’Américain se reprend, trouve le juste équilibre entre engagement et prudence, et chante, oui chante, et nuance, jusqu’au bout. Avec cette présence certes massive, mais touchante, et naïve, presque adolescente.

Quatre-vingts ans durant, la France aura ignoré la Ville morte. Si Strasbourg répara l’oubli en 2001, l’opéra rêvé de Korngold quitta de nouveau l’affiche, jusqu’à son entrée au répertoire de la Bastille dans la mise en scène globe-trotteuse de Willy Decker. Avec son audace coutumière, Nancy ose une vraie nouvelle production, qui n’a rien à craindre de la comparaison.

Deux performances vocales, pour ne pas dire des tours de force, voilà ce qu’exige Korngold des interprètes de la Ville morte, et le premier défi que relève l’Opéra national de Lorraine, au-delà des espérances. Hors d’un Heldentenor, point de salut pour Paul, à moins d’y sacrifier un artiste trop docile dans son inconscience. Incontestablement, Michael Hendrick en a la carrure, cubique, ainsi que le timbre, d’un sombre éclat.

Dès le premier monologue, il donne tout, c’est-à-dire trop, trop tôt, pour tenir la tessiture sur la distance, et surtout par-dessus l’orchestre, magmatique. L’aigu se serre alors, et vacille, mais l’Américain se reprend, trouve le juste équilibre entre engagement et prudence, et chante, oui chante, et nuance, jusqu’au bout. Avec cette présence certes massive, mais touchante, et naïve, presque adolescente.

Marietta appelle des moyens moins monstrueux sans doute, mais une chanteuse à l’égal de l’actrice, instrumentale autant que théâtrale, une Salomé qui serait, aussi, une Lulu. Helena Juntunen, une Pamina, une Marguerite qui a aussi osé la Marie de Wozzeck, n’a été ni l’une ni l’autre encore, mais les fusionne, déjà. Souple, pulpeuse, aguicheuse, venimeuse, c’est une liane, une chatte, de voix et de corps, dont la féminité triomphante est poussée jusqu’à l’expresionnisme.

Six cellules où se répète le « temple du passé » forment l’espace mental obsessif dont Paul est prisonnier, comme le cadre du portrait de sa défunte, présence-absence dont les contours ombrés se projettent sur un tulle, se précisent et puis s’animent, glaçants et sensuels. Philipp Himmelmann brouille d’emblée la frontière entre rêve et réalité, dont Brigitta – Nadine Weissmann, profonde, capiteuse – et Frank – Thomas Oliemans, mâle, brut – ne semblent plus que des bribes échappées.

L’espace à peine se transforme pour accompagner l’errance à travers la ville, figurée par un reflet seul, et pourtant immédiatement bien plus sulfureuse, bien moins salubre que dans le spectacle un peu lisse, et perdu sans doute dans Bastille, de Willy Decker. Car burlesque, justement grotesque est la troupe de danseurs, très Rocky Horror Picture Show, gisant au miroir des canaux. Et surtout palpable, imposant à l’esprit les brumes tortueuses de Bruges-la-Morte.

Les corps s’y cherchent, se trouvent, et pourtant jamais ne se rencontrent. C’est la barrière du délire, macabre, qui les isole et les superpose dans le lieu dédoublé où le portrait les dévore. Himmelmann montre en virtuose du théâtre les deux côtés du miroir : Paul étreignant l’air de sa vision – jusqu’à la pulsion meurtrière qui le délivre de l’emprise de la morte, peut-être, en tout cas le ramène à sa réalité propre –, et sa vision elle-même, Marietta au-dessus de lui, objectivée comme souvent le rêve est si profond que la conscience se croit éveillée.

C’est dans la révélation de cette mécanique que cette mise en scène, à vrai dire indescriptible – tout ce qui précède n’est qu’une tentative éminemment subjective d’en rendre compte, à l’instar d’un récit de rêve –, puise sa force envoûtante, qui est celle de l’œuvre même, en ce qu’elle nous submerge.

D’autant que Korngold jamais n’apaise son océan orchestral, luxuriant, écœurant même si sa houle ininterrompue n’est pas maîtrisée. Non seulement Daniel Klajner trouve le juste équilibre avec le plateau pour que les voix ne s’y noient pas, mais il tient assez admirablement l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy, de bout en bout et sans entracte, pour que le flot jamais ne se brise.

À présent que l’Opéra national de Lorraine a montré le chemin, et avec une exigence théâtrale et musicale ô combien payante, verra-t-on plus souvent Die tote Stadt sur les scènes françaises ?

Opéra de Lorraine, Nancy
Le 09/05/2010
Mehdi MAHDAVI


Nouvelle production de la Ville morte de Korngold dans une mise en scène de Philipp Himmelmann et sous la direction de Daniel Klajner à l’Opéra national de Lorraine.
Erich Wolfgang Korngold (1897-1957)
Die tote Stadt, opéra en trois actes (1920)
Livret de Paul Schott d’après la pièce le Mirage de Georges Rodenbach, adaptée du roman Bruges-la-Morte du même auteur.

Chœur d’enfants les Mirabelles
Chœur de l’Opéra national de Lorraine
Orchestre symphonique et lyrique de Nancy
direction : Daniel Klajner
mise en scène : Philipp Himmelmann
décors : Raimund Bauer
costumes : Bettina Walter
Ă©clairages : GĂ©rard Cleven
Avec :
Michael Hendrick (Paul), Helena Juntunen (Marietta), Thomas Oliemans (Frank), Nadine Weissmann (Brigitta), André Morsch (Fritz), Yuree Jang (Juliette), Aurore Ugolin (Lucienne), André Post (Victorin / Gaston), Alexander Swan (Graf Albert).

http://www.altamusica.com/concerts/document.php?action=MoreDocument&DocRef=4363&DossierRef=3953

by Mehdi Mahdavi

Altamusica

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