🇫🇷 RĂŠVE EVEILLÉ POUR LA VILLE MORTE DE KORNGOLD – as Paul in La Ville Mort, OpĂ©ra National de Nancy et de Lorraine

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Le Paul de Michael Hendrick inquiète quelque peu au dĂ©but, en difficultĂ© dans l’aigu. Puis la voix se libère, retrouve sa vaillance et, surtout, dĂ©montre son Ă©tonnante rĂ©sistance pour assumer jusqu’au bout et sans entracte la terrible Ă©criture du rĂ´le. Sa relative gaucherie sied parfaitement Ă  ce personnage nĂ©vrosĂ©, retirĂ© du monde et qui ne vit que dans le souvenir de son passĂ© perdu.

Hormis ses musiques de film (et ses deux oscars) Ă  Hollywood, Erich Wolfgang Korngold doit sa renommĂ©e Ă  une seule Ĺ“uvre. CrĂ©Ă©e en 1920,La Ville morte ne s’imposera pourtant que dans le dernier quart du XXème siècle. Il fallut mĂŞme attendre 2001 pour en voir la crĂ©ation scĂ©nique en France, Ă  Strasbourg, et l’automne 2009 pour que l’OpĂ©ra national de Paris la fasse entrer Ă  son rĂ©pertoire. Une Ĺ“uvre rare donc, nĂ©cessitant un orchestre plĂ©thorique et deux solistes de premier plan susceptibles de soutenir, durant deux heures trente, une tessiture surexposĂ©e. Une Ĺ“uvre que l’OpĂ©ra national de Lorraine n’a cependant pas hĂ©sitĂ© Ă  affronter.

Le dispositif scĂ©nique conçu par Raimund Bauer est un damier en deux rangĂ©es superposĂ©es de trois boites au mĂŞme dĂ©cor minimaliste : un fauteuil et un lampadaire. Le metteur en scène Philipp Himmelmann y fait apparaĂ®tre, en les isolant, les protagonistes mais jamais Paul n’y croisera la danseuse Marietta, en qui il croit revoir son Ă©pouse dĂ©funte Marie. Chacun reste dans son monde, Ă  son «niveau». Mais, fruit d’un travail d’acteurs soigneusement rĂ©glĂ©, les gestes de l’un trouvent leur Ă©cho sur l’autre et les actions Ă©voluent en parallèle. On ne saurait mieux mettre en Ă©vidence l’atmosphère onirique du livret, oĂą tout prend corps dans l’imagination et les fantasmes de Paul, y compris la strangulation finale de Marietta. Un usage subtil de la vidĂ©o (Martin Eidenberg) donne tout son poids au portrait omniprĂ©sent de Marie et, image intense et magique, l’anime quand Paul croit l’entendre depuis l’au-delĂ  Ă  la fin du premier tableau. Au second, l’ambiance de cabaret confinant au peep-show qui accompagne la troupe des acolytes de Marietta peut paraĂ®tre moins heureuse et plus triviale. On pourra aussi regretter l’absence de toute allusion Ă  Bruges, arrière-plan si fondamental dans le roman originel de Georges Rodenbach. Le spectacle est nĂ©anmoins, au final, d’une grande force et d’une rare intelligence.

Le Paul de Michael Hendrick inquiète quelque peu au dĂ©but, en difficultĂ© dans l’aigu. Puis la voix se libère, retrouve sa vaillance et, surtout, dĂ©montre son Ă©tonnante rĂ©sistance pour assumer jusqu’au bout et sans entracte la terrible Ă©criture du rĂ´le. Sa relative gaucherie sied parfaitement Ă  ce personnage nĂ©vrosĂ©, retirĂ© du monde et qui ne vit que dans le souvenir de son passĂ© perdu. Perle absolue, Helena Juntunen a tout pour convaincre en Marietta ; belle et sculpturale, scĂ©niquement Ă  l’aise et mĂŞme dĂ©lurĂ©e, elle s’y investit pleinement et rĂ©ussit un portrait proche de l’idĂ©al de sĂ©ductrice peu farouche, presque vulgaire et intensĂ©ment sensuelle. Sur le plan vocal, il est incroyable d’entendre cette Pamina, cette Arabella, cette Gilda, darder sans difficultĂ© ses aigus ronds et pleins et passer sans fatigue l’imposante masse orchestrale. En Franck, on retrouve avec plaisir le timbre somptueux et le legato soyeux de Thomas Oliemans. On regretterait presque qu’il n’assume pas aussi le rĂ´le de Fritz et le sublime air du Pierrot, mais AndrĂ© Morsch s’y rĂ©vèle pleinement adĂ©quat. Nadine Weissmann impressionne en Brigitta, voix de contralto profonde et intense, cependant non dĂ©nuĂ©e d’aigu. Enfin, la troupe des amis de Marietta rĂ©ussit une belle performance, Ă  la fois homogène et suffisamment contrastĂ©e dans ses individualitĂ©s.

Et quel bonheur, enfin, de constater l’excellence du niveau auquel est parvenu l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy, au grand complet pour cette partition post-romantique, sous la baguette experte et énergique de Daniel Klajner. La seule menue réserve portera sur un léger manque, en puissance et plénitude, lors des transitions orchestrales entre les tableaux. Mais pour le reste, tout y est : la luxuriance des couleurs, la volupté du Lied de Marietta, le mystère de l’intervention de Marie, le caractère sombre et implacable du troisième tableau. Que du bonheur, vous disait-on ! Et audiblement, le public nancéien en a été ravi.

Crédit photographique : Helena Juntunen (Marie / Marietta) © Opéra national de Lorraine

Rêve éveillé pour la Ville morte de Korngold

by Michel Thomé

ResMusica

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